Aujourd'hui je ne sortirais pas de chez moi. Il y a quelque chose de poisseux dans l'air, les gens sont trop laids, trop vulgairement parlant. Cette nuit avec un peu de mensonge et juste ce qu'il faut d'obscurité ils me paraîtront magnifiques. Je m'en irais avec eux célébrer le peu de ce que nous avons cru comprendre du néant.
C'est d'abord dehors que j'étouffe avant de me fondre dans une colonne en ciment. Je ne vois pas d'où vient le vent, je n'ai plus confiance dans le ciel. Ce n'est pas de l'ennui, c'est juste ce qu'il me fallait de méfiance pour m'en détourner. Je remue la cuillerée d'un certain dégoût dans l'acidité de mon café. C'est assez d'amertume pour des pensées clairvoyantes. Dans le relief des formes brunes je crois voir des visages humains. Cela même qu'aujourd'hui j'avais essayé de fuir.
Il n'y a plus de café, ou plus de détergent. De l'autre côté de l'abri, je sortirais malgré leur présence. Il nous manque toujours quelque chose, je n'ai jamais autant manqué de petites choses que lorsque je pouvais tout avoir. Il faut être contemporain me dit-elle enthousiaste, c'est bien ce que je fais: j'irais chercher l'amertume du café et la pureté du détergent pour laver les traces de notre vie biologique, quelques liquides acides et le sang sur sa culotte, celui de l'enfant qu'une fois de plus elle n'aura pas.
Dans les rayons des nécessités primordiales, les exigences sont des utopies en couleur. Au milieu de tous ces étranges symboles je cherche encore les mots justes. Les mots intouchables de la beauté pour réécrire aux hommes l'anthologie des rêves. Mes pensées seules sont libres, je m'en remets perpétuellement au salaire de la contrainte. Dans un instant il faudra que je m'avance vers le comptoir de son monde à elle. Elle est jeune mais d'une beauté fatiguée par ses expressions automatiques. Ce n'est pas la griffe d'une ride sur son visage, cela tient plutôt à son regard triste, à son illusion égarée dans la monotonie des comptes et du rangement.
Cela me trouble, je remonte l’escalier en courant mais les mots ne sont plus exactement à leur place. Dans l'ordre égaré de la beauté, je ressens la même peur qu'elle de la nuit et des prédateurs. Le front inquiet et l'œil encore primate, j'ai désormais la subtilité du sentiment mélancolique pour m’imaginer au dessus de la chair. Dans quel monde ai-je vécu pour me croire épargner?
( Extrait de "Anthropologie du hasard" de Laurent Perrot )
( Extrait de "Anthropologie du hasard" de Laurent Perrot )
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